Géographie de la violence en Afrique du Nord et de l’Ouest — les zones frontalières
La répartition géographique des violences est loin d’être homogène en Afrique du Nord et de l’Ouest, avec une augmentation des événements violents dans les zones frontalières.
Les violences sont en augmentation en Afrique du Nord et de l’Ouest depuis 2011. Sur la période 2015-19, on recense en moyenne 3 300 événements violents et 12 600 décès par an.
En 2020-21, ces chiffres s’envolent pour atteindre 6 800 événements violents et 18 000 décès par an.
Point encore plus préoccupant, cette hausse intervient malgré le recul considérable de la violence en Libye et en Algérie. L’épicentre des violences s’est déplacé au Nigéria ainsi qu’à la frontière entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Les violences à l’encontre des civils ont augmenté de 500 % en Afrique de l’Ouest depuis 2016
Cette flambée s’explique notamment par le changement de nature des conflits qui, au sud du Sahara, impliquent de plus en plus d’acteurs tels que des rebelles sécessionnistes, des extrémistes religieux, des groupes d’auto-défense et un nombre croissant de milices communautaires.
Avec la multiplication des acteurs en conflit, les violences augmentent, tout comme le nombre des victimes civils. Les interactions se complexifient appelant au renforcement de la coopération régionale face à des conflits de plus en plus transnationaux.
Nombre et types d’événements violents en Afrique de l’Ouest, 1997-2021
Source: CSAO-OCDE à partir de données ACLED. © 2022. Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE)
Source: CSAO-OCDE à partir de données ACLED. © 2022. Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE)
L’augmentation des violences frontalières est particulièrement préoccupante
Au cours des six premiers mois 2021, 60 % des victimes se situent à moins de 100 kilomètres (km) d’une frontière.
Notre dernier rapport annuel, Frontières et conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest, examine trois questions sur les liens entre frontières, zones frontalières et conflits :
Les zones frontalières sont-elles plus violentes que les autres territoires ?
Les violences sont-elles en augmentation dans les zones frontalières ?
Certaines zones frontalières sont-elles plus violentes que d’autres ?
Pour y répondre, nous utilisons l’indicateur des dynamiques spatiales des conflits (Spatial Conflict Dynamics indicator [SCDi]), développé par le Secrétariat du CSAO/OCDE. Les tendances et dynamiques sécuritaires sont analysées à plusieurs échelles – locale, nationale, régionale et frontalière entre 1997 et juin 2021 à partir des données ACLED « Armed Conflicts and Events Database» et d’analyses qualitatives. Cette approche multi-scalaire apporte de nouveaux éclairages sur les défis sécuritaires et prône des options politiques plus territorialisées.
Que nous apprendre l’indicateur des dynamiques spatiales des conflits (SCDi) ?
Développé par le Secrétariat du CSAO/OCDE, le SCDi cartographie l’évolution de la géographie des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest. Il quadrille la région en cellules de 50 x 50 km, puis regroupe les conflits selon leur intensité et leur concentration. Cette classification permet de comprendre où se situe une zone dans le « cycle de vie » du conflit.
L'indicateur des dynamiques spatiales des conflits, Afrique du Nord et de l'Ouest en 2021
Les zones en bleu foncé sont particulièrement préoccupantes. Théâtres de violences concentrées et de forte intensité, elles se situent au milieu du cycle de vie du conflit. Cela touche la région du lac Tchad, la frontière Mali-Burkina Faso-Niger et le Nigéria.
Ces violences sont peu susceptibles de s’atténuer à court terme. De plus en plus de territoires sont concernés chaque année, en particulier dans les zones frontalières ; Il y a une intensification des conflits là où ils sévissaient déjà et une diffusion à des territoires où ils n’existaient pas.
Nombre de conflits par type, 1997-2021
Source: CSAO-OCDE à partir de données ACLED. © 2022. Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE)
Source: CSAO-OCDE à partir de données ACLED. © 2022. Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE)
Les zones frontalières sont-elles plus violentes que les autres territoires ?
L’analyse des données de 21 pays sur 23 ans fait apparaître clairement que près de 9 % de l’ensemble des événements violents se produisent à moins de 10 km d’une frontière, où vivent 6 % de la population totale. Ce pourcentage s’établit à 15 % à 20 km d’une frontière, et à 25 % à 50 km. Ces chiffres suivent un schéma classique de diminution des violences avec la distance aux frontières : plus on s’éloigne de la frontière, moins on observe d’événements violents. On peut donc en conclure que les zones frontalières sont plus violentes que les autres territoires.
Événements violents, décès et population selon la distance aux frontières en Afrique du Nord et de l’Ouest, 1997-2021
Source: CSAO-OCDE à partir de données ACLED. © 2022. Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE)
Source: CSAO-OCDE à partir de données ACLED. © 2022. Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE)
Les violences sont-elles en augmentation dans les zones frontalières ?
Les violences frontalières sont différentes de celles des autres territoires. Les épicentres des violences frontalières forment aux croisements des frontières Mali-Burkina Faso-Niger et dans la région du lac Tchad. La part des violences concentrées et de forte intensité est plus importante dans les zones frontalières. Dans les régions frontalières en conflit, les événements violents sont très intenses rapprochés. Ces types de violences risquent de perdurer.
L'indicateur des dynamiques spatiales des conflits dans les zones frontalières, 2020
Certaines zones frontalières sont-elles plus violentes que d’autres ?
L’analyse combinée de données quantitatives sur la localisation des événements violents et d’évaluations qualitatives (études de cas et analyses des réseaux d’acteurs), illustre les facteurs locaux, nationaux et régionaux influant sur le niveau de violence dans les zones frontalières.
Les acteurs violents exploitent la faiblesse des politiques, notamment dans les zones frontalières. L’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) a ainsi tirer profit des tensions locales autour de l’accès aux terres, des droits d’élevage et des enjeux de mobilité pour se rapprocher des populations de la zone des trois frontières. Depuis la création de l’organisation en 2015, près de la moitié des événements violents de la région se sont ainsi produits à moins de 50 km de la frontière Mali-Burkina Faso-Niger.
Événements violents impliquant certaines organisations transnationales, 1999-2021
Source: CSAO-OCDE à partir de données ACLED. © 2022. Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE)
Source: CSAO-OCDE à partir de données ACLED. © 2022. Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE)
Les acteurs violents de plus en plus nombreux deviennent davantage transnationaux et contribuent à l’augmentation des conflits.
Lorsque les frontières sont poreuses et l’autorité étatique faible, les groupes violents y créent des sanctuaires, recrutent de nouveaux membres et trouvent de nouvelles sources d’approvisionnement. Face aux pressions exercées par un pays, les groupes à l’image de Boko Haram délocalise leurs activités dans les pays voisins. En 2013, l’intervention de la Force d’intervention civile conjointe (Civilian Joint Task Force [CJTF]) pour mettre un terme aux activités de l’organisation à Maiduguri, au Nigéria, entraîne des attaques au-delà jusque dans certaines zones du nord du Cameroun.
Décès impliquant Boko Haram, ISWAP et les forces gouvernementales, 2009-20
Source: CSAO-OCDE à partir de données ACLED. © 2022. Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE)
Source: CSAO-OCDE à partir de données ACLED. © 2022. Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE)
Comment sécuriser les frontières et réduire les niveaux de violence ?
Un certain nombre d’options politiques peuvent être envisagées pour atténuer les violences dans les zones frontalières :
Renforcer les technologies et la sécurité aux frontières
En poursuivant les efforts des forces multinationales (comme la Force multinationale mixte, le G5 Sahel) et en investissant davantage dans les ressources et technologies de surveillance des frontières. Si les instances régionales, telles que la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), et les partenaires au développement promeuvent l’intégration régionale, ils doivent aussi faire de la sécurité aux frontières une priorité.
Développer de meilleures infrastructures pour promouvoir la cohésion nationale
Une meilleure intégration des régions frontalières et un investissement dans les infrastructures peuvent contribuer à atténuer le sentiment de marginalisation des communautés périphériques.
Investir dans les services publics des villes frontalières
Malgré le rôle essentiel des villes frontalières dans la circulation régionale des biens et des personnes, elles manquent de services publics qui les aideraient à devenir des pôles commerciaux et des centres d’innovation. Ces défaillances peuvent être récupérer par certains groupes violents.
Protéger les civils avant tout
Avec l’augmentation des violences, les conséquences pour les populations civiles sont de plus en plus lourdes. Les États africains et leurs alliés doivent en priorité donc protéger la vie et les moyens de subsistance des populations.